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La farigoule et les parisiens

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    Jérémy Kinoa
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Si la Réclame est née à Paris, c'est un Provençal qui lui a donné le jour : Jean-Baptiste Aymès, de la ville d'Aix, où il tenait, sur le Cours, magasin de quincaillerie, et d'où il partit dans l'année 1821, pour aller s'établir à Paris. Il abandonna son ancienne industrie pour faire dans une autre se prêtant mieux aux inspirations de son génie créateur. Il ouvrit, rue du Bac, un grand magasin de denrées provençales, et répandit dans tout Paris des prospectus sur lesquels on lisait :

On trouve chez Jean - Baptiste Aymès, etc., etc., des pâtés de thon dont la croûte fond sous la dent comme la neige au soleil, – des terrines de césé jaspées aux lentilles, – du vin de Noé récolté sur des vignes dont l'origine authentquement constatée remonte à ce patriarche, – du miel distillé à l'arôme de la farigoule qui couvre les crêtes alpestres de la haute Provence, etc., etc.

Des césé, de la farigoule, qu'est-ce donc que ça ? disaient les Parisiens, nous ne connaissons pas, ce doit être excellent.

Et les Parisiens achetaient, et le magasin d'Aymès avait la vogue.

Et dès ce jour naissait la Réclame, la reine Réclame !

Et moi, jeune homme à courte vue, je me moquais des annonces de Jean-Baptiste Aymès !

Et tous mes contemporains, non moins imprévoyants que je pouvais l'être, s'en moquaient aussi à qui mieux mieux : Si jeunesse savait !...
Et même : Si enfance... !

En 1814, on jouait sur le théâtre de Comte, physicien du roi, passage Choiseul, et à la suite des tours d'escamotage, une pièce pleine de quolibets à l'adresse de l'admirable découverte faite par Papin et perfectionnée par Watt : la machine à vapeur.

Avant de me conduire au collége de Juilly, ma mère avait voulu me procurer les distractions de la capitale appropriées à mon âge, et nous allions de temps à autre au théâtre Comte. Il me semble que je les entends encore ces lazzis, ces quolibets :
– Nous mangerons du pain fait à la vapeur – ah ! ah !
– Nous porterons des souliers faits à la vapeur – ah ! ah !
– Les voitures marcheront et les bâtiments navigueront à la vapeur — ah ! ah ! ah !

Et les enfants, les parents, les bonnes, les gouvernantes de rire et d'applaudir.

Et moi, pour la primeur de mes émotions théâtrales, et avec ma vivacité méridionale, je riais et j'applaudissais plus fort que les autres.

A ma honte, à ma honte, à ma très grande honte.

revue de Marseille